La revanche des gentils

Publié le par Pierre

Longtemps, ils sont passés pour des simples d’esprit, tandis que les « méchants » exerçaient sur nous une réelle fascination. Crise aidant, la tendance s’inverse, et la gentillesse, indispensable à la refonte d’un monde plus juste et moins brutal, retrouve toute sa valeur.

Entraide des voisins, associations de simples citoyens qui viennent au secours des sans-papiers, covoiturage, troc, dons ou échanges d’appartements qui s’organisent autant par souci d’économie et d’écologie que par plaisir de rendre service… Les bons sentiments ne sont plus honteux. Au contraire : nous en redemandons ! Les succès de films comme Bienvenue chez les ch’tis (de Dany Boon, 2008) ou Slumdog Millionaire (de Danny Boyle, 2009) en sont les témoins : nos nouveaux héros sont des gentils qui savent le rester, même dans un monde difficile. Comme si, déçus et éreintés par l’ère de l’individualisme roi, nous tentions désormais d’entrer dans l’ère de l’amabilité. Au service de ce désir grandissant, Internet, « le » lieu où ­l’intérêt mutuel, le partage de compé­tences, de bons plans et d’expériences règnent en toute gratuité : sur les forums, les sites sociaux, mais également grâce au système du logiciel libre, qui révolutionne l’esprit de collaboration, selon le philosophe Bernard Stiegler, auteur de Réenchanter le monde (Flammarion, “Champs essais”, 2008).

Et c’est tant mieux, car, en temps de crise, l’empathie, l’attention à l’autre, le respect ou encore la solidarité deviennent des nécessités vitales. « Comment retrouver le “nous” ? » s’interroge Régis Debray dans son dernier livre. Parmi les meil­leures ventes en librairies, des titres nous enseignent L’Art de la gentillesse ou L’Art d’être bon. Impensable il y a dix ans ! Des associations d’entraide se créent un peu partout. Les jeunes Londoniens qui, il y a quelques années, lançaient la mode de l’agression surprise (happy slapping) filmée pour amuser les internautes, semblent désormais se consacrer aux petits gestes surprenants qui font du bien.

Ailleurs, on s’embrasse volontiers entre inconnus dans la rue : c’est le mouvement des free hugs (câlins gratuits). Et puis, comment regarder le succès des « soins de soi » (spas, mas­sages, yoga…) et des thérapies associant le toucher autrement que comme un nouvel élan de douceur et de gentillesse à l’égard de son corps ? Physiquement et psychiquement, un changement s’opère : chacun veut (se) faire du bien.

Nous avons tous ou presque l’impression que la vie quotidienne est majoritairement composée d’actes agressifs. Or, « si 50 % de nos échanges se terminaient réellement par des violences, nous n’aurions jamais pu survivre en tant qu’espèce et bâtir des sociétés, assure Stephen Jay Gould, paléontologue américain spécialiste de Darwin (Comme les huit doigts de la main - Seuil, “Points sciences”, 2000). Presque toute rencontre est au minimum neutre, et le plus souvent assez agréable ».

Si nous avons cette impression de négativité, c’est parce que les actes hostiles, comme les émotions douloureuses, inscrivent dans la mémoire une empreinte plus profonde que celle que laissent les ­gestes gentils et bienveillants. Ainsi, « un seul acte de méchanceté annule, dans notre perception, dix mille actes de gentillesse, poursuit Stephen Jay Gould. Un passage à tabac raciste peut balayer des années de patiente éducation en faveur de la tolérance au sein d’une collectivité ». Mais, finalement, nous avons tous en nous la capacité d’être bien meilleurs que nous ne le pensons…  (source:Psychologies magazine)

Publié dans La médaille du revers

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